Cour Administrative d’Appel de Marseille n° 17MA03812 du 18 juin 2019
Procédure contentieuse antérieure :
L'association Urgence Nature, l'association du Pays des sources de la Gardille et du Goulet, M. D... A..., Mme H...I..., Mme F... et M. E... B...ont demandé au tribunal administratif de Nîmes :
- sous le n° 1501623, d'annuler l'arrêté du 19 mars 2015 P.C. A0002 par lequel le préfet de la Lozère a accordé à la société EDF EN France un permis de construire pour un parc de quatre éoliennes sur le territoire de la commune de Chasseradès ;
- sous le n° 1501624, d'annuler l'arrêté du 19 mars 2015 P.C. A0003 par lequel le préfet de la Lozère a accordé à la société EDF EN France un permis de construire pour un parc de cinq éoliennes sur le territoire de la commune de La Bastide-Puylaurent.
Par jugement n° 1501623,1501624 du 4 juillet 2017, le tribunal administratif de Nîmes, après avoir joint ces deux demandes, les a rejetées.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 5 septembre 2017, et par un mémoire complémentaire, enregistré le 22 novembre 2018, l'association Urgence Nature, l'association du Pays des sources de la Gardille et du Goulet, M. D... A..., Mme H... I...et M. E... B..., représentés par la SCP d'avocats Jakubowicz Mallet-Guy et associés, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1501623, 1501624 du 4 juillet 2017 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) d'annuler les deux arrêtés du 19 mars 2015 du préfet de la Lozère ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et d'EDF EN France le versement, pour chacun d'entre eux, de la somme de 1 500 euros à l'ensemble des requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 2 novembre et 4 décembre 2018, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 novembre et 14 décembre 2018, EDF EN France, représentée par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de chacun des requérants la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
La société EDF EN France a déposé, le 30 mai 2012, deux demandes de permis de construire aux fins de réaliser un parc éolien dans l'alignement sud des Taillades, situé au nord-est du département de la Lozère, dans la forêt domaniale de la Gardille. Par les deux arrêtés en litige du 19 mars 2015, le préfet de la Lozère a délivré les deux permis de construire en litige, autorisant l'implantation respective de quatre aérogénérateurs sur le territoire de la commune de Chasseradès et de cinq appareils sur celui de la commune de La Bastide-Puylaurent, toutes deux soumises à la loi Montagne, tous en alignement sur la même ligne de crête des Taillades. L'association Urgence Nature et autres ont demandé au tribunal administratif de Nîmes, par deux demandes distinctes, l'annulation de ces deux arrêtés. Par le jugement attaqué, dont l'association Urgence Nature et autres relèvent appel, le tribunal administratif de Nîmes a joint ces deux demandes et les a rejetées.
Sur le bien fondé du jugement :
En ce qui concerne le moyen de légalité externe invoqué à l'encontre du permis de construire situé sur le territoire de la commune de Labastide-Puylaurent :
Aux termes du XI de l'article 90 de la loi du 12 juillet 2010 dans sa rédaction en vigueur : " Hors des zones de développement de l'éolien définies par le préfet, pour les projets éoliens dont les caractéristiques les soumettent à des autorisations d'urbanisme, les communes et établissements de coopération intercommunale limitrophes du périmètre de ces projets sont consultés pour avis dans le cadre de la procédure d'instruction de la demande d'urbanisme concernée. ". L'article R. 423-56-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction en vigueur prévoit que : " Dans le cas d'un projet éolien soumis à permis de construire et situé en dehors d'une zone de développement de l'éolien définie par le préfet, l'autorité compétente recueille, conformément aux dispositions prévues au XI de l'article 90 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, l'avis des communes et des établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de plan local d'urbanisme ou d'autorisations d'urbanisme limitrophes de l'unité foncière d'implantation du projet. ".
Il ressort des pièces du dossier, et notamment du courrier du 28 mai 2014 du maire de la commune du Luc, que cette commune, limitrophe du périmètre du projet éolien de cinq aérogénérateurs en litige sur la commune de Labastide-Puylaurent et située hors d'une zone de développement de l'éolien, a été consultée dans le cadre de la procédure d'instruction du permis de construire contesté et que le conseil municipal, par délibération du 25 mai 2014 a émis un avis défavorable à ce projet. Par suite, le moyen tiré de ce que le permis de construire en litige serait entaché d'un vice de procédure en raison du défaut de consultation de cette commune manque en fait et doit être écarté.
En ce qui concerne les moyens communs invoqués à l'encontre des deux permis de construire :
En premier lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme alors en vigueur : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. ".
Le moyen tiré de ce que les travaux de fouille du sol en cours de réalisation, nécessaires pour accueillir les fondations des éoliennes E9, E10 et E11, porteraient atteinte à la qualité des eaux superficielles de la crête des Taillades et, en conséquence, à celles des sources captées en aval de cette crête et par suite créeraient un risque pour la salubrité publique en méconnaissance de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, est relatif à l'exécution des permis de construire en litige et est ainsi sans incidence sur la légalité des arrêtés en litige. En tout état de cause, la seule présence d'eau dans certains fonds de fouilles dont il n'est pas établi, par la seule production par les requérants de photographies non datées réalisées pendant les travaux de creusement des fondations, qu'elle serait issue de sources d'eau situées à proximité des projets éoliens ne suffit pas à démontrer qu'eu égard à la nature des projets en cause, ces derniers présenteraient un risque de dégradation des ressources locales en eau et donc à la salubrité publique. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme doit être écarté.
En deuxième lieu, l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date des décisions en litige, prévoit que : " Lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l'aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d'eau, d'assainissement ou de distribution d'électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé si l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés (...) " Ces dispositions poursuivent notamment le but d'intérêt général d'éviter à la collectivité publique ou au concessionnaire d'être contraints, par le seul effet d'une initiative privée, de réaliser des travaux d'extension ou de renforcement des réseaux publics de distribution d'eau, d'assainissement ou d'électricité et de garantir leur cohérence et leur bon fonctionnement, en prenant en compte les perspectives d'urbanisation et de développement de la collectivité. Il en résulte qu'un permis de construire doit être refusé lorsque, d'une part, des travaux d'extension ou de renforcement de la capacité des réseaux publics sont nécessaires à la desserte de la construction projetée et, d'autre part, l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés, après avoir, le cas échéant, accompli les diligences appropriées pour recueillir les informations nécessaires à son appréciation.
Il ressort des pièces du dossier que les parcs éoliens en litige permettront à la fois de distribuer l'électricité produite vers le réseau public et de desservir les installations de ces parcs pour leurs besoins propres. L'étude d'impact des projets prévoit que ce raccordement sera effectué par la société bénéficiaire EDF elle-même sur le poste de livraison de Laveyrune et que, notamment, le balisage nocturne des mâts des éoliennes sera directement alimenté par l'électricité produite par les parcs éoliens dès leur mise en service et par un système de batterie en cas de coupure. Il en résulte qu'il n'est pas établi que les projets en litige nécessiteraient une extension ou un renforcement du réseau public d'électricité. Par suite, le moyen tiré de ce que le projet méconnaît l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme au motif que le concessionnaire du service public d'électricité n'a pas été consulté et que le délai d'exécution sur le réseau public d'électricité pour assurer cette desserte n'a pas été fixé doit être écarté.
En troisième lieu, aux termes du II de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme alors en vigueur : " Les documents et décisions relatifs à l'occupation des sols comportent les dispositions propres à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard. ". Il résulte de ces dispositions que, sans préjudice des autres règles relatives à la protection des espaces montagnards, le II de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme prévoit que dans les espaces, milieux et paysages caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard, les documents et décisions relatifs à l'occupation des sols doivent être compatibles avec les exigences de préservation de ces espaces. Pour satisfaire à cette exigence de compatibilité, les documents et décisions cités ci-dessus doivent comporter des dispositions de nature à concilier l'occupation du sol projetée et les aménagements s'y rapportant avec l'exigence de préservation de l'environnement montagnard prévue par la loi.
Il ressort des pièces du dossier que le lieu d'implantation des projets se situe dans le massif boisé de Mercoire planté majoritairement de boisements artificiels de résineux destinés à une exploitation forestière dynamique, qui font notamment l'objet de coupes régulières et d'éclaircies sur les boisements âgés, présentant de faibles enjeux environnementaux. Ce massif est traversé par de larges pistes forestières et ne fait l'objet d'aucune protection particulière d'un point de vue patrimonial et paysager. La crête des Taillades, lieu d'implantation des projets, est située à une dizaine de kms, pour ses parties les plus proches, au nord du site inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco "les Causses et les Cévennes, paysage culturel de l'agro-pastoralisme méditerranéen "qui présente des caractéristiques naturelles et paysagères très différentes de celles des projets et à 4 kms de la zone "tampon", dans laquelle des activités pourraient avoir des répercussions importantes sur la zone inscrite à l'Unesco. Cette crête se situe, à son point le plus proche, à 8 kms du Parc des Cévennes. L'abbaye Notre Dame des Neiges, qui ne fait l'objet d'aucune protection particulière et qui s'inscrit dans le paysage densément boisé, ne constitue pas un point de repère dans le paysage du projet. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le lieu d'implantation des projets s'inscrive dans un espace, paysage ou milieu caractéristique du patrimoine naturel et culturel montagnard des Grands causses des Cévennes et avec lequel il formerait une unité paysagère.
S'agissant du chemin de Stevenson, il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette des projets, qui s'étire sur une longueur de 2 kms, est traversé par le chemin de grande randonnée GR7A-GR70 dit "chemin de Stevenson", qui relie sur 275 kms la Haute-Loire au Gard. Ce chemin montagnard emprunté depuis longtemps par les habitants des lieux, devenu chemin de pèlerinage et qui fait partie de l'itinéraire culturel du Conseil de l'Europe "sur les traces de R.L. Stevenson", doit être regardé comme un espace, paysage ou milieu caractéristique du patrimoine et culturel montagnard. Si les éoliennes seront implantées à des distances situées entre 220 et moins de 100 m de ce chemin, il ressort des pièces du dossier que le chemin est bordé à cet endroit d'un écran dense de sapins dont la hauteur permettra d'atténuer la vue immédiate directe sur les éoliennes. Ces dernières ne seront que très occasionnellement perceptibles en s'éloignant, compte tenu de la présence de nombreux reliefs et des couvertures boisées des lieux. Il ressort de l'étude d'impact que le bénéficiaire des permis de construire a prévu d'implanter les infrastructures annexes nécessaires, telles que les plateformes et les pistes d'accès, à l'intérieur des parcelles boisées afin qu'elles ne soient pas visibles depuis les chemins de randonnée et que les projets éoliens en litige n'impacteront aucunement la fréquentation du chemin de Stevenson. EDF EN France a prévu comme mesure d'accompagnement et de valorisation de son projet le financement, avec l'accord des municipalités concernées, de l'entretien des chemins de randonnées du plateau dont celui de Stevenson et d'équipements d'accueil du public sur le site. Compte tenu de l'atteinte limitée portée au chemin de Stevenson et des mesures prises pour le préserver, les permis de construire en litige ne sont pas incompatibles avec le II de l'article L. 145-3 du code de l'urbanisme.
Les requérants ne critiquent pas la réponse donnée par les premiers juges aux autres moyens invoqués à l'appui de leurs demandes.
Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non recevoir opposée par EDF EN France à la demande de première instance, que l'association Urgence Nature et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leurs demandes.
Décide :
Article 1er : La requête de l'association Urgence Nature et autres est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par EDF EN France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Urgence Nature, à l'association du Pays des sources de la Gardille et du Goulet, à M. D... A..., à Mme H...I..., à M. E... B..., à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à EDF EN France.
Référence : Cour Administrative d’Appel de Marseille n° 17MA03812 du 18 juin 2019.
Urbanisme pratique n° 376 du 24 octobre 2019.
Michel Degoffe le 24 octobre 2019 - n°376 de Urbanisme Pratique
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